Moi, Christiane F., la série coup de poing à voir absolument!
Pour la rédaction de cet article, j’ai fait appel à une amie, Angélique, bookstagrammeuse et chroniqueuse pour le média littéraire La Voix des lectrices. La raison est simple : vous offrir deux regards différents sur la série parue sur la plateforme Prime Vidéo, début avril. En effet, avant de voir Moi, Christiane F., Angélique connaissait la véritable histoire de cette adolescente tombée dans la drogue, pour l’avoir lue dans le livre éponyme et vue dans l’adaptation cinématographique de 1981. De mon côté, je ne m’étais intéressée qu’aux grandes lignes de sa vie, glanées sur le web. En ce sens, notre découverte et notre analyse de la série ont été différentes. Cependant, les sujets traités ayant généré beaucoup d’émotions en nous, c’est à quatre mains que nous allons vous expliquer pourquoi vous ne devez pas passer à côté de cette série.
Les origines (par Angélique)
Les origines du livre sont assez simples : à la fin des années 70, deux journalistes, Kai Hermann et Horst Rieck, rencontrent Christiane Felscherinow à la sortie d’un tribunal. Ils enquêtent sur les adolescents SDF. Alors que l’entrevue doit durer deux heures, elle se transforme en plusieurs auditions par semaine pendant deux mois.
Après plusieurs refus de la part d’éditeurs, l’histoire de Christiane sera publiée dans le magazine Stern, en douze parties. Face à l’engouement, le livre sera finalement édité et restera en tête des ventes pendant 95 semaines entre 1979 et 1981.
En France, le titre original était Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée. De quoi donner une bonne indication du témoignage qu’on retrouve entre ces pages. En Allemagne, le titre était Wir Kinder wom Bahnhof Zoo (Nous les enfants de la gare du Zoo) faisant référence au lieu où Christiane et ses amis trainaient et se prostituaient.
La série
De notre point de vue, la série, bien que courte – 8 épisodes de 50 minutes environ -, développe en profondeur plusieurs thèmes que nous allons vous présenter ici.
Se rassembler pour exister
Laëtitia : Au début de la série, Christiane et Stella sont dans la même classe, Michi et Benno sont amis de longue date. Axel va rencontrer successivement Christiane et Benno, et être à l’origine de la création de la bande d’amis. Babsi arrivera un peu plus tard, par le biais de Stella. Le ciment de ce groupe est, sans conteste, le besoin d’appartenance, d’identité. Tous ont en commun de vivre au sein de familles dysfonctionnelles, quand ils en ont une. Au départ, la bande offre à chacun un sentiment de liberté émotionnelle : pas de jugement, pas de justification ; juste le plaisir d’être ensemble et de partager des bons moments. Cette amitié plurielle leur donne le sentiment d’exister.
Angélique : Dans mes souvenirs du livre, Christiane est le lien entre chacun des membres du groupe. Dans cette nouvelle adaptation, c’est Axel qui a ce rôle. J’ai trouvé ce biais vraiment intéressant, permettant dès le début de montrer que chaque personnage aurait son importance et pas seulement Christiane. Axel est également le seul à avoir un appartement et par conséquent à avoir une certaine liberté. Son logement va très vite devenir le QG de cette bande d’ados instables. De plus, c’est ici qu’ils seront en sécurité pour se droguer…
D’ados en souffrance à camés
Angélique : “Ma famille c’est la bande. J’y trouve de l’amitié, de la tendresse, quelque chose qui ressemble à de l’amour” dit Christiane F. dans le livre. On retrouve cette instabilité familiale dès les premiers épisodes. Christiane voit ses parents se séparer et vit assez mal la situation. Dans la véritable histoire, Christiane a une sœur. Dans la série non. Et là où son père était un psychorigide qui était très sévère avec elle, l’actrice se voit affubler d’un paternel aussi adolescent qu’elle. Peut-être même plus instable. Certains plans laissent à montrer que Christiane est plus mature que lui. Il en va de même pour Stella, Benno et Babsi. Même si cette dernière a une grand-mère adorable, l’amour ne fait pas tout. Et c’est dans la drogue et le sentiment d’appartenance à un groupe, à une nouvelle famille, qu’ils vont se retrouver. D’ailleurs, la scène où les filles décident de commencer à faire le tapin montre vraiment cette sororité tant espérée.
Laëtitia : Une des premières scènes fortes de cette série se passe dans la boîte de nuit – le Sound – où la bande va peu à peu avoir ses habitudes. Après avoir pris un comprimé d’ecstasy, les six adolescents se mettent à planer ; au sens propre (on reviendra plus tard sur la place du fantastique dans cette série). Ce que les plus terre à terre interpréteront comme une image des effets de la drogue, je le vois comme un profond sentiment de liberté. L’ecsta les rend légers, les libère des différents fardeaux auxquels ils font face malgré leur jeune âge. De là, les stupéfiants vont devenir leur remède ; le moyen de s’échapper de ce monde où ils ne se sentent pas à leur place. Quand ils commencent tous à prendre de l’héroïne, leur sentiment de force crève l’écran. Plus rien ne peut les atteindre. Sous substances, ils se sentent invincibles. Jusqu’à ce que le remède s’avère plus nocif que le mal et que la dépendance les entraîne vers la prostitution.
De la drogue à la prostitution et la pédophilie
Angélique : Les journalistes qui ont fait l’interview de Christiane l’ont rencontrée à la sortie d’un tribunal. Elle venait de témoigner contre son proxénète. Dans la série, les filles trouvent refuge chez un quinquagénaire un peu naïf ayant accès à toute la drogue dont elles ont besoin. Pour Stella et ses copines, c’est un premier bon plan, mais très vite insuffisant…
Laëtitia : Sans doute le côté le plus dérangeant de la série, mais ô combien éducatif. Les épisodes qui traitent de la prostitution et de la pédophilie sont filmés de manière à la fois crue et suggérée. Les images sont ternes et expriment bien l’enfer dans lequel les adolescents plongent peu à peu. C’est fort, triste, écœurant…
Le fantastique et les allégories
Laëtitia : J’ai adoré cet aspect de la série. Sans trop en dévoiler, je vous dirais juste que certaines scènes seront totalement improbables pour celui qui regardera cette série au premier degré. A mon sens, les allégories et les métaphores sont là pour montrer l’évolution des pensées des personnages (la liberté, la toute puissance, la déchéance…), tout en soulignant le côté hallucinogène des substances qu’ils s’injectent.
Angélique : Je n’ai pas fait attention à ces allégories. Elles étaient là, à crever l’écran, à me déranger parfois, mais je ne les voyais pas vraiment. C’est un peu la limite quand on binge watch une série, on passe parfois à côté du travail minutieux de réalisation. C’est après avoir parlé avec Laëtitia que j’ai compris leur place et cela m’a donné une toute autre lecture de l’histoire. J’ai même regardé une deuxième fois certains épisodes, pour mieux les apprécier avec ce nouvel éclairage.
Les différences entre l’œuvre originale et la nouvelle adaptation (Angélique)
Des différences entre le film de 1981 et la mini série récemment sortie sur Prime Video, il y en a. Beaucoup. Et si au début j’ai été mi-surprise, mi-dérangée, je m’y suis bien vite faite. Mieux, ai-je envie de dire, j’ai préféré cette adaptation.
En effet, le film de 1981 a pour personnage principal et central, Christiane. La jeune actrice de l’époque crevait l’écran. Elle avait un visage de poupée et rendait encore plus dramatique l’histoire. C’était une très bonne réalisation… pour l’époque. Malheureusement le film a plutôt mal vieilli.
Dans la mini-série, des libertés ont été prises. La plus évidente est la disparition de Detlev, le jeune héroïnomane qui fait découvrir à Christiane cette drogue. La deuxième est l’axe de narration. Cette fois-ci, la réalisation ne se concentre plus seulement sur Christiane, mais donne la voix à tous ces enfants de la gare du Zoo. Le titre original reprend son pouvoir et c’est assez ingénieux. Évidemment, tout ou presque est inventé. Detlev devient donc Benno. Et si au début j’ai envoyé des messages en mode “Il est passé où Detlev ?????” à Laëtitia, je ne regrette finalement pas ce choix. Ici, le jeune Benno a une vie différente du vrai protagoniste et donc, d’une certaine manière, plus d’espoir. Sans rien spoiler, je dirais simplement que la dernière scène où on le voit apparaître rend hommage au témoignage de Christiane Felscherinow dans son deuxième livre Moi, Christiane F., la vie malgré tout (paru en 2013 chez Flammarion) et permet de boucler la boucle avec un pied ancré dans la réalité.
Tout le reste du groupe bénéficie d’un casting renouvelé. Si Stella et Babsi ont bien existé, leur vie et destin diffèrent un petit peu. Axel et Michi apportent un équilibre et une parité parfaite dans cette bande : 3 garçons, 3 filles. Ce qui a permis aux scénaristes de leurs créer des vies et des problèmes qui traversent les générations. La sexualité, l’amitié, la famille sont des thèmes abordés par l’intégration de ces personnages, en dehors du prisme de la vision de Christiane. Cela donne toute son intensité à cette mini-série.
Des acteurs qui crèvent l’écran
Laëtitia: Si cette série est marquante, c’est aussi grâce aux acteur.rices qui incarnent les personnages. Tous très jeunes, en majorité comédiens débutants, on ne peut que leur prédire une longue carrière tant ils sont crédibles dans ces rôles d’adolescents perdus. Si je devais souligner une performance qui m’a marquée plus que les autres, ce serait sans doute celle de Lea Drinda qui interprète Babsi, une pauvre petite fille riche, aux traits poupins, dont la détresse dans le regard m’a touchée en plein cœur.
Angélique : Ce casting est merveilleux. Outre les jeunes acteurs de la bande, ceux choisis pour être les parents ou les adultes référents sont parfaits. Je parlais plus tôt du père de Christiane. Avec ses faux airs de Patrick Swayze dans Dirty Dancing, Sebastian Urzendowsky crève l’écran dans son rôle de père perdu, d’adulte aux rêves de gosse. Il en va de même avec Bernd Hölscher, qui joue Günther, le proxénète. Ce qu’il a fait est monstrueux mais on se prendrait presque de pitié pour lui, pauvre mec aussi paumé que toutes les personnes gravitant autour de Christiane et la bande. Et pour finir sur un jeune acteur, tout mon amour va à Jeremias Meyer, qui joue Axel. C’est un des personnages qui m’a le plus touchée dans cette adaptation.
Vous l’aurez compris, les connaisseurs comme les néophytes de l’histoire de Christiane F seront sans doute d’accord : cette série mérite toute notre attention. Elle distille des messages forts qui feront écho à tout un chacun et apporte un regard important sur l’entourage de Christiane, qui a été peu développé dans le livre et le film des années 70/80. Une série qui vous marquera et vous suivra longtemps après sa vision.